par
Christophe
J. A. Ranque *
Cet article a pour
objectif de montrer le clivage croissant au sein de la population
bolivienne et le lien avec l'éducation, en s'appuyant sur un fait
récent, la tentative de renversement d'une autorité élue, le maire de
Samaipata, Flavio Lopez Escalera. Le même phénomène de clivage culturel
a conduit au renversement du président Evo Morales en novembre 2019. Ce
problème d'éducation est également à l'origine de la dualité que nous
vivons actuellement au niveau international, avec une partie du monde
qui semble devoir lutter contre l'autre partie.
Partout en Bolivie, des populations mécontentes du régime en place depuis les élections nationales contestées de novembre 2019, réclament de nouvelles élections présidentielles. Celles-ci ont été plusieurs fois reportées, notamment en raison de la situation sanitaire. Début août 2020, un nouveau report des élections est annoncé, rendant inaccomplie la loi qui prévoyait le recours aux urnes le 6 septembre 2020. Cela provoque une forte réaction d'insatisfaction dans le pays. La Confédération Ouvrière de Bolivie, qui rassemble plus de 3 millions de travailleurs, et le Movimiento Al Socialismo (MAS), fondé par Evo Morales en 1987, appellent à la mobilisation générale1
Source: Radio fides
L'habitude prise dans le pays depuis l'époque de la lutte syndicale menée par Evo Morales est de manifester son mécontentement en bloquant les routes à des endroits stratégiques. L'un d'eux est un étranglement sur l'ancienne route qui relie les villes de Santa Cruz et Cochabamba, au niveau du pont qui traverse la rivière descendant en cascade depuis "El Fuerte", un site archéologique localisé sur la commune de Samaipata et classé patrimoine mondial de l'humanité par l'UNESCO2.
Mardi 4
août 2020
Un groupe de "bloqueadores" se rend au pont de El Fuerte. Se sont essentiellement des hommes et femmes de basses couches sociales, sympathisants du MAS, pour la plupart non issus de la commune bien qu'il y en ait.
Une partie de la
population de la petite ville de Samaipata (5 000 habitants) n'est pas
d'accord avec cette manière de bloquer les routes. Cela nuit à la vie
locale et aux déplacements/transports.
Aussi, certains se
mobilisent pour aller déloger les manifestants en leur lançant des
cailloux. À leur tête se trouvent les membres du comité civique de
Samaipata3.
L'un des manifestants, issu d'une communauté locale, sera blessé. Peu nombreux face à la mobilisation populaire locale, ils fuient et se réfugient dans la montagne.
Source:
à gauche capture de vidéo d'un manifestant témoin, à droite capture
de vidéo mise sur Facebook
Afin de menacer les fuyards, le feu est
mis aux broussailles. Il s'étendra
rapidement du fait des vents violents, brûlant une partie de la
montagne proche du site archéologique de El Fuerte.
La responsabilité incombe au président du comité civique que l'on entend sur une vidéo inciter à mettre le feu4.
Ces faits seront relatés auprès de la population locale et dans les média, mais bien souvent de manière erronée. Par exemple, les manifestants sont accusés d'avoir causé l'incendie5 et le maire, issu du MAS, d'avoir incité au renforcement du bloqueo6, alors qu'il s'agit d'un mouvement d'envergure nationale qui sort de son champ de compétence.
Vendredi 7 et samedi 8 août 2020
La contestation nationale se poursuit. Le mouvement de bloqueo au niveau du passage de El Fuerte prend de l'ampleur et se durcit. Des manifestants arrivent de plus loin ainsi que des secteurs ruraux de la commune chez qui ils trouvent un appui. Il est clair dans l'esprit des manifestants qu'ils ne veulent pas que soient reportées les élections. "Ceux qui ont manifesté se sont auto-mobilisés, cela signifie qu'ils ont décidé individuellement de manifester leur soutien à ce que les élections se tiennent conformément à la loi (promulguée le 21 juin 2020) et que celle-ci ne soit pas violée." 7.
Du côté de la population urbaine de Samaipata et du
mouvement civique, un groupe de défense s'organise pour aller disperser
les manifestants. Ils n'y parviennent pas, mais attrapent deux
manifestants qui sont pris en otages8.
Vers 11 heures du matin, un journaliste local se rend au lieu du bloqueo (à l'est de Samaipata, 1 sur la carte ci-dessous) pour pouvoir rendre compte de la situation. À l'approche du bloqueo, il se fait agresser par des jeunes cagoulés et vêtus de ponchos noirs sortis du fourré. Ils lui lanceront des pierres et le blesseront dans le dos9. D'autres journalistes locaux subiront également le même sort10.
Pendant ce temps, à l'autre entrée de Samaipata (2 sur la carte
ci-dessous), un
groupe de manifestants arrivent de Mairana, pour se joindre au groupe
déjà à El Fuerte avec un camion de ravitaillement. Ils sont stoppés et
dispersés par le groupe de défense civique11.
Source: à gauche camion de ravitaillement pour
les manifestants en provenance de Mairana, partagé par un témoin;
à droite photo satellite annotée de Samaipata prise sur Google Earth
C'est pourquoi en fin de journée, les bloqueadores mécontents de ces sabotages et agressions entrent dans le village. Ils arrivent par l'est (1 sur la carte). Ils sont plusieurs centaines.
Source: photo extraite de la vidéo référencée en
note 12
Ils
se dirigent d'abord vers le local du parti politique de Camacho dont
une vitre sera brisée et font la pression pour libérer leurs compagnons
pris en otage comme cela s'entend sur une vidéo12.
Entrée de Samaipata, à gauche (flèche) le local de
campagne du parti de Camacho; à droite détail de la façade - source
personnelle.
à
gauche, vitrine du local du parti politique de Camacho avec en rouge
l'impact de la pierre et souligné en bleu on devine la vitre brisée
mais restée en place (verre feuilleté) - photo personnelle; à droite
les otages libérés - photo transmise par un manifestant.
Puis ils partent à la poursuite des assaillants et capturent à leur tour plusieurs otages13. Ensuite ils se rassemblent pour rejoindre l'autre groupe qui a été dispersé près de l'autre entrée à l'ouest (2 sur la carte), en longeant la route nationale Nº714.
La
population locale est terrorisée. On sonne les cloches de l'église pour
appeler à la mobilisation populaire. Les habitants se rassemblent à la
nuit pour organiser une vigile. On fait appel aux forces de police de
Santa Cruz15.
Le maire de Samaipata explique lors d'une conférence de presse que les
manifestants sont venus de loin (pour la plupart)16.
Tout comme la population locale, iI désapprouve le bloquage de route
comme moyen de faire entendre son mécontentement et appelle au
dialogue. Il dénonce également tout comportement incitant à la
violence. Il demande au comité de bloqueo de lever le barrage et publie
un communiqué sur le sujet.
Source:
page Facebook de la Mairie, @gamsamaipata
Mais dans les médias et au sein de la population de Samaipata, le maire est tenu pour responsable de la situation17.
Les médias reporte une irruption des manifestants dans l'hôpital et l'agression du personnel médical18.
Mais plusieurs personnes travaillant dans l'hôpital et interrogées indépendamment me diront qu'il s'agit d'un mensonge.
Il faudra attendre l'intervention d'un contingent de la police venu de Santa Cruz (près de 100 policiers) pour que soit levé le barrage et que stoppent les affrontements, avec l'arrestation de près de 50 manifestants19.
Vendredi 21 août
Un
groupe de résidents de Samaipata prend la décision de fermer les locaux
de la municipalité, pour motif que le maire ne s'est pas présenté aux
réunions auxquelles il avait été convoqué pour rendre des comptes à
propos des bloqueos et des agressions à la population locale. Les
portes sont fermées et des cadenas apposés ainsi qu'un message
dénonçant les malversations du maire, différents griefs à son encontre20.
Source:
transmis par un témoin
Lundi 24 à vendredi 28 août 2020
Au
cours de la semaine, de jeunes délinquants occupent la place centrale
du village. Ils font
exploser de gros pétards de jour comme de nuit. La plupart ont le
visage masqué, masque de biosécurité et foulard. Ils demandent le
renoncement du maire. Leur identité n'est pas clairement établie21.
Samedi 29 août 2020
Un grand rassemblement populaire nommé Cabildo est organisé sur la
place centrale de Samaipata, de 15h à tard dans la nuit. Il est demandé
aux
participants d'approuver la destitution du maire. Le conseil municipal
choisira un nouveau maire par intérim parmi ses membres. La conseillère
Mary Elena Toledo sera retenue. L'acte de changement de maire sera
enregistré auprès du notaire22.
source: invitation au Cabildo circulant dans les
réseaux sociaux - capture d'écran; à droite la maire "élue" - capture
d'écran.
Depuis avant même l'élection de Evo Morales, des forces opposée à son projet politique socialiste ont cherché à l'écarter du pouvoir, par tous les moyens.
L'erreur commise de n'avoir pas tenu compte du référendum de 2016 et de s'être représenté aux élections de 2019 avait ouvert une brèche, celle de créer la confusion au sein d'une partie de la population entre stabilité politique et dictature.
Par ailleurs, des insatisfactions croissantes dans le pays sur la politique menée, notamment le manque de concertation ou les choix environnementaux, sont venues s'ajouter aux histoires (fausses évidemment, mais tel n'est pas le sujet de l'article) reportées sur sa personnes dans tous les domaines (narcotrafique, corruption, détournement de fonds, vie privée, ...).
On assistait ainsi depuis plusieurs années à la construction dans les médias et les réseaux sociaux d'une image négative de Evo Morales et de ses sympathisants du MAS ou non affiliés.
Le recours aux bloqueos était devenu un acte de non respect du droit à la libre circulation, pour les personnes affectées, notamment les transporteurs de marchandises et passagers, et pour les riverains.
Une partie de la population n'avait plus à l'esprit la raison fondamentale de ces actions de revendication populaire : le respect des lois.
C'est le non respect de la loi
convoquant aux élections présidentielles en septembre qui avait
provoqué le mouvement national de bloqueo, plus de 150 dans tout le
pays, du jamais vu auparavant23.
La raison invoquée de la pandémie
ne faisait pas le poids pour des personnes qui depuis des mois
s'étaient habituées à porter le masque, respecter la distance sociale,
utiliser le gel alcoolique, pour aller à la banque ou au marché. Cela
devenait même un prétexte pour ceux qui savait que le covid-19 se
soignait avec les plantes locales utilisées traditionnellement pour les
rhumes et grippes: matico, eucalyptus, vira-vira24.
Mais pour ceux qui suivaient l'actualité sur les écrans de télévision, médias et réseau sociaux virtuels, le MAS était devenu le fléau à éliminer après Evo.
Evo Morales avait été le premier à
ne pas respecter la Constitution et son parti avait "forcé" pour qu'il
se représente aux élections de octobre 2019. Lui et son parti n'étaient
donc plus crédibles aux yeux de près de la moitié de la population.
C'est donc dans cet état d'esprit
que se sont passés les événements des 7 et 8 août à Samaipata.
Pour éliminer le "mal" tout devient donc permis.
On bombarde les manifestants de pierres, on met le feu aux fourrés, on
les accuse de tous les maux, on en prend en otage, on leur envoie la
police, on les arrête.
On accuse le maire d'être responsable. On ferme les locaux de la
mairie. On destitue le maire par une assemblée de citoyens (le
cabildo), à laquelle on attribue un pouvoir qu'elle n'a pas. On force
le conseil municipal à élire un nouveau maire.
L'ensemble des faits est assez bien présenté dans un article de
presse de El Deber, qui exprime honnêtement les deux points de vue,
celui des défenseurs du maire élu et celui des opposants qui veulent le
destituer25.
Mais qui est ce "on"? Quelle est
sa légitimité? Ce sont, je crois, les questions à ce poser.
Je dirai que ce "on" est un collectif, un ensemble de personnes. Il ne
représente pas la majorité qui a élu l'autorité au suffrage universel
démocratique, un homme - une voix, mais une minorité qui partage des
valeurs communes et veut les imposer par la force. Il a un comportement
anarchique, violent, qui ne respecte pas les lois. Il agit et crée du
chaos, du désordre institutionnel. Il s'accapare le "pouvoir", la
position qui semble le lieu de décision, en l'occurence ici celle du
maire de la municipalité.
La population de la
commune de Samaipata se retrouve ainsi divisée, le maire élu critiqué
et théâtralement destitué puis "remplacé" sous l'autorité de ce "on"
qui n'a rien de démocratique ou légal.
Comment en est-on
arrivé là ?
À première vue, on
pourrait dire que cela provient de ce que Jean-Jacques Crève-Coeur
appelle la manipulation des masses.
Je vous donne un
exemple. Un travailleur indépendant de Samaipata a l'habitude d'écouter
la radio pendant qu'il s'occupe de ses clients. La fréquence qu'il a
choisi lui apprend les dernières nouvelles sur les méfaits du MAS et de
Evo Morales. Au fil du temps, l'information imprime son esprit. Cela
devient sa réalité. Il le tient pour vrai.
Éventuellement, il va
pouvoir en parler avec d'autres personnes qui ont la même information
ou apprendre par une autre source la même chose. Cela devient sa vérité
confirmée.
C'est cela qu'on appelle
la manipulation des masses, une guerre de l'information. Goebbels en
était l'expert sous le régime nazi. La propagande, comme on doit la
nommer, crée un groupe de personnes qui se retrouvent avoir les mêmes
repères, les mêmes croyances.
Cette approche donne
ainsi une explication au conflit généré au sein de la population: on
peut dire qu'il y a deux groupes qui n'ont pas les mêmes croyances.
Il y a ceux qui se sont
mobilisés POUR Evo Morales et ce qu'il représente et porte comme vision
et réalité du Vivre Bien, ceux qui ont pu sentir leur vie s'améliorer,
comme le montrent aussi les macro-indicateurs tels que le PIB ou l'IDH26.
Ils sont plutôt indifférenciés. Ils agissent ensemble, un peu comme des
abeilles, en essaim. S'ils se sentent menacés pour leur survie, ils se
regroupent, attaquent et piquent.
De l'autre côté, il y a
ceux qui se mobilisent CONTRE la "dictature", les "mensonges", la
"corruption", le "terrorisme"... Ils sont plus individualisés, menant
leur vie chacun à sa manière. Mais ils savent aussi se rassembler
derrière les mêmes valeurs27
et sont capables de se mobiliser ensemble, pour les défendre.
Alors où est la
vérité et quelle solution pourrait être pacifiante et unifiante?
Je me suis efforcé ici de rassembler des éléments permettant d'établir les faits. Et bien que cela reste partiel, on arrive tout de même à bien comprendre que le "coup de mairie" n'est pas seulement une opération de récupération du "pouvoir" par une minorité opportuniste (à l'occasion de la manifestation d'insatisfaction nationale) et manipulatrice (par le recours au mensonge - accusations portées au maire, à la violence - contre les manifestants ainsi que contre le personnel de mairie28, et à l'argent - pour payer les délinquants, organiser le Cabildo).
Il existe réellement
un clivage culturel au sein de la population locale, clivage avec
lequel d'ailleurs le maire cherche à composer29.
Qu'est-ce qui est réellement à l'origine de ce clivage?
Selon moi, ce n'est pas seulement une histoire de désinformation. C'est beaucoup plus profond que cela. L'origine de la crise est à rechercher dans le processus-même qui a construit chez ces différentes personnes des "vérités" ou représentations de la "réalité" différentes: leur éducation 30.
C'est ainsi que, schématiquement, Evo Morales et ses sympathisants ont
grandi dans un monde dont le système de référence est la vie, les
processus organiques, dans la nature (agriculture) et au sein de la
société (organisations). Leurs valeurs tournent autour de l'autonomie,
la solidarité et l'entraide, comme dans la nature (voir les symbioses
ou la notion d'écosystème par exemple).
De leur côté, les opposants31 ont grandi dans un monde dont le système de références est le mental, les connaissances apprises. Leurs valeurs sont les relations humaines, la réussite personnelle, le pouvoir et l'argent (ce qui constitue en quelque sorte "l'écosystème urbain").
Sans
s'en rendre compte, ces deux mondes coexistent, mais ils ne
fonctionnent pas de la même manière. Je dirai même que la crise de
société qui est venue ébranler Samaipata est symptomatique d'un mal qui
touche toute la Bolivie, et même le monde entier, parce qu'il a la
même cause: la faille de l'éducation moderne.
La faille de l'éducation moderne
L'éducation
moderne, c'est celle de l'école à partir de 6-7 ans pendant 10 ans.
C'est celle du maître qui sait et de l'élève qui apprend. Cette méthode
éducative exerce le mental, développe les connaissances intellectuelles
et permet d'accroître la capacité de s'exprimer et de communiquer.
En Bolivie, l'éducation étaient basée jusqu'à encore récemment sur la
copie et la répétition. Cela a permis, bien sûr, de
construire un socle culturel commun au sein de l'état plurinational
de Bolivie, riche de sa diversité culturelle et linguistique: lire,
écrire, compter, acquérir de la discipline et des valeurs de respect,
connaître l'histoire du pays et l'hymne national, acquérir des
connaissances universitaires... Mais cela a également forgé une
certaine manière d'apprendre: en imitant.
Pour les enfants des campagnes, l'éducation scolaire complète
admirablement ce qu'ils apprennent en grandissant et vivant dans la
réalité changeante du monde sensible: les repères que sont les
saisons, la durée du jour, les variations climatiques, les rythmes de
la nature, la nature de chaque chose et être vivant... Cela leur
permet de s'ouvrir à d'autres savoirs que les leurs, mais aussi et
surtout de pouvoir mieux communiquer aux autres les connaissances
issues de leur expérience, ces savoirs-faire qui leur permettent de
vivre, de produire leur nourriture, construire leur maison, conserver
la santé... Comme ils savent aussi reconnaître les savoirs-faire des
autres, ils sont en mesure de bien choisir leurs leaders, non pas sur
la base de comment ils gouvernent mais de quel impact cela a sur leur
vie.
Mais qu'en est-il pour les enfants des villes?
En ville, l'éducation scolaire renforce l'importance des repères
déjà prégnant dans la vie quotidienne, du fait du mode de vie: les
liens sociaux et la place prépondérante du travail et de l'argent.
Le développement des capacités mentales est alors principalement
orienté vers la finalité de subvenir à ses propres besoins (et ceux de
sa famille) en exerçant une activité et en gagnant de l'argent. Mais
comme le modèle d'apprentissage scolaire est basé sur la
mémorisation-répétition, la faculté d'autonomie mentale
(réflexion personnelle, esprit critique, évaluation indépendante,
discernement...) et d'auto-entreprise (initiative économique)
qui va avec se trouve limitée (à ce qui est acquis hors système
scolaire, dans la famille ou ailleurs). La faculté de créer et gagner
sa vie à partir de ses propres dons et aspirations est donc elle aussi
limitée.
Dans ce contexte socio-éducatif, certains vont s'adapter, mais
d'autres pas. Ceux qui s'adaptent sont ceux qui s'y retrouvent; ils
apprenent un métier (comme le travailleur indépendant de Samaipata
donné en exemple) et gagnent leur vie ainsi.
Mais d'autres personnes ne trouvent dans ce contexte ni le sens qu'a
leur vie (du point de vue de l'âme, c'est-à-dire de ce qui les anime),
ni les clés pour la construire à partir de leurs propres forces.
Cela les conduit, selon leur caractère, soit à l'autodestruction
(maladies, addictions dégénératives - tabac et alcool inclus), soit à la
destruction (de la structure socio-économique en place, de ses
règles et lois qui les entravent).
Pour échapper à l'écueil de l'autodestruction, une partie de la
jeunesse urbaine de Santa Cruz se tourne vers le mouvement de jeunesse
fasciste chrétienne, qui lui donne des repères spirituels et du sens à
sa vie. On peut dire que ce mouvement est un produit du terreau mental
développé par le modèle éducatif, un terreau favorable à
l'endoctrinement religieux et idéologique32.
Pour contribuer à la destruction du système socio-économique qui les
limite (par le modèle éducatif non créatif), certains individus vont
outrepasser ses règles, en ayant recours aux repères culturels qui sont
pertinents pour eux (les relations et l'argent) et aux forces
développées grâce à leur éducation (l'intellect et la capacité à
communiquer). Cette dernière n'ayant pas développé une "créativité
institutionnalisée", ce qui va le mieux marcher pour eux, c'est une
"créativité extra-institutionnelle": communication créative ("mensonge"
et "propagande"), relations complices ("corruption") et renversement de
l'ordre établi par la force (qui trouve un exutoire aux énergies non
valorisées dans le cadre institutionnel).
Selon moi, ces individus ne peuvent pas vraiment faire autrement, parce
qu'iIs n'ont pas appris les lois de la vie (qui incluent les dynamiques
humaines, les dynamiques d'entreprise), celles qui permettent de
construire des choses qui marchent, à partir des ressources de la
planète et des libres volontés humaines.
Même s'ils le souhaitaient, ils ne pourraient pas réussir en
construisant. Ils se retrouveraient frustrés par l'échec. Aussi,
intelligemment, ont-ils réalisé que ce qui marche pour eux, c'est de
"déconstruire", détourner ce qui est en place, à leur profit. Cela leur
apporte ce qu'ils cherchent: la réussite et l'argent, qui dans ce
modèle socio-économique urbain ouvre les portes à beaucoup de
possibles, notamment s'accaparer des ressources et s'aliéner le travail
d'autrui.
C'est tellement vrai que culturellement est admis à Santa Cruz, au sein
de la population urbaine, que les dirigeants sont corrompus et
profitent de leur position. C'est "normal"!33.
C'est là encore une confirmation de ce clivage culturel.
Pour conclure, je dirai que le "coup de mairie" à Samaipata, sur
fond de clivage social, illustre parfaitement la faille de l'éducation
moderne qui a oublié que les "enfants des villes" n'ont pas les mêmes
besoins éducatifs que les "enfants des champs".
Pour retrouver une unité sociale, pour effacer le clivage
culturel, une réforme de l'éducation moderne s'avère nécessaire,
afin de permettre à tous les enfants de "co-naître à la planète et à
eux-mêmes". C'est ce que je vous expliquerai en détail dans un prochain
article consacré à l'éducation naturelle.
3
Le comité civique est une instance de représentation de la société
civile locale. Mais depuis le conflict allumé dans le pays avec le non
respect du référendum du 21 février 2016 par Evo Morales, un opposant,
Luis Fernando Camacho*, avait commencé à utiliser ces instances
citoyennes à des fins politiques partout dans le pays, en commençant
par sa ville d'origine, Santa Cruz. À Samaipata, son influence s'est
faite vivante autour des élections de octobre 2019, avec l'arrivée à la
présidence du comité civique de Samaipata d'un nouveau président, Rudy
Paniagua pro Camacho, peu après la démission de son prédécesseur
Heberth Alba élu le 16 septembre 2016 et ayant renoncé 47 jours plus
tard pour raisons de santé.
* Qui
est Camacho?
7 D'après le témoignage direct d'un manifestant
8 D'après le témoignage direct d'un manifestant
9 D'après le journaliste lui-même sur sa page Facebook
10 https://ahoradigital.net/2020/08/07/marchistas-que-intimidaron-samaipata-se-identificaron-como-la-policia-sindical-del-mas/
12 sur
la
vidéo diffusée par Freddy Gamboa Orellana sur son Tweeter, à
53", on voit le groupe se diriger vers la gauche où se situe le local
de Camacho puis on entend "Donde estan nuestros compañeros?", ce qui
signifie "où sont nos compagnons?"
13
sur la vidéo centrale de la page référencée dans la note 12, on peut
voir une personne au volant d'une voiture; elle n'est pas menacée par
les manifestants, pas plus que les passants; par contre le groupe aura
attrapé un opposant. Nota. La vidéo a été supprimée de la page, elle
est disponible ICI
14
D'après un témoin
15 https://www.paginasiete.bo/nacional/2020/8/7/con-palos-piedras-bloqueadores-ingresan-samaipata-atemorizan-al-pueblo-263817.html
16 voir ses paroles en milieu de vidéo https://www.youtube.com/watch?v=cwvR-wYepcE
17 voir note 10
18https://ahoradigital.net/2020/08/07/video-afines-al-mas-irrumpieron-con-violencia-en-samaipata-ingresaron-al-hospital-y-golpearon-a-medicos/
19
https://www.elperiodico-digital.com/2020/08/08/cerca-de-un-centenar-de-policias-llega-a-samaipata-luego-de-enfrentamientos/
20
https://ne-np.facebook.com/Prensa-Valles-Unidos-819482455049902/videos/pobladores-de-samaipata-hacen-toma-simb%C3%B3lica-y-cierre-de-alcald%C3%ADa/301222664436121/
22
https://www.lostiempos.com/actualidad/pais/20200829/cabildo-desconoce-al-alcalde-samaipata-nombra-nueva-autoridad
23 http://www.laprensa.com.bo/nacional/20200816/alfombra-de-piedras-y-pocos-puntos-de-bloqueo-persisten-del-conflicto
25 https://eldeber.com.bo/santa-cruz/samaipata-mantiene-la-vigilia-pacifica-mientras-el-concejo-elija-un-nuevo-alcalde_198131
26 Le Produit Intérieur Brut de Bolivie a atteint 3 000 € par habitant en 2018 - source et L'Indice de Développement Humain 0.693 en 2017 - source
27 Camacho a d'ailleurs appelé son parti "creemos" - voir photo de la vitre brisée, ce qui veux dire "nous croyons"
28 Dénonciation de pression et violence sur le personnel de la mairie sur la page Facebook de la mairie
29 Par exemple, il va prendre le parti de dénoncer les bloqueos comme moyen pour se faire entendre, ce qui le démarque de la position des partisans du MAS ailleurs dans le pays. Il va aussi rechercher le dialogue avec le conseil municipal, comme démontré dans cette communication sur cette page Facebook de la mairie.
30 Je veux parler ici de l'éducation au sens large, c'est-à-dire du processus qui a forgé leur système de repères et de valeurs, qu'ils proviennent du milieu familial, des institutions éducatives ou des expériences et rencontres de la vie.
31 opposants, car s'est ainsi qu'ils se caractérisent; ils ne sont pas "pour" une alternative mais "contre" ce qui existe.
32 Camacho a fait appel aux deux, religion et idéologie, pour former les jeunesses fascistes chrétiennes de Santa Cruz, comme expliqué par exemple dans cette article.
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